portrait de profil de Clemence Gueidan interview

Interview Clémence Gueidan

auteurVirginie et Alex [ OWAG ]

Le parcours de Clémence Gueidan est riche : aujourd’hui game designeuse et médiatrice ludique, elle a été tour à tour étudiante en neuroscience, journaliste, animatrice radio et enfin directrice d’Epsilon ! Touche-à-tout, autodidacte et passionnée, Clémence nous livre les détails de son parcours.

Comment Epsilon est entré dans ta vie ?

Un ami de longue date me dit qu’un poste va s’ouvrir pour être manager d’un escape game qu’il s’apprête à ouvrir avec un associé. Ils veulent quelqu’un avec un profil hybride, un peu couteau-suisse pour les accompagner aussi dans la conception de la salle. Et le 1er septembre 2015, je bosse chez Epsilon.

Là, les boîtes de gros œuvres avaient cassé les murs et monté de nouvelles cloisons, mais c’était tout. Il y a eu 5 mois de travaux non-stop. Il faut savoir qu’ils m’ont aussi embauché, car lorsque j’étais étudiante, j’ai travaillé au service technique de la ville où j’habitais. J’y ai appris à peindre, les bases de l’électricité, de la plomberie, mais aussi à changer des vitres, à poser du carrelage, etc.

 

Travaux chez Epsilon escape game paris

 

Sur le chantier d’Epsilon, j’ai appris encore plus de choses ! J’ai, par exemple, posé tout le parquet du lobby. Mais ma grande mission, c’était la création des décors et la scénographie du Patient de la chambre 8. Les grandes lignes du scénario étaient écrites avec une idée de l’ambiance, mais ils n’avaient pas encore réfléchi aux détails : les matériaux, les normes… Donc, j’ai passé un mois à effectuer des recherches pour trouver de bons fournisseurs habilités dans le domaine. J’ai ensuite appris à capitonner des murs, j’ai travaillé le sol, les accessoires, etc.

 

Et comment s’est passée l’ouverture ?

Nous avons ouvert en janvier 2016, on était la 20ème enseigne à ouvrir à Paris et les escape games étaient encore peu connus. J’ai vu l’énorme évolution entre le moment où les passants se questionnaient sur ce que c’étaient (un bar ? un hôtel ? un jeu de rôle ? un jeu vidéo ?) et où je devais leur expliquer le concept en faisant des parallèles avec d’autres activités existantes, et aujourd’hui où tout le monde en a déjà entendu parler.

Donc, à l’ouverture, mon job a évolué en directrice, pour faire tourner le lieu. Au début, j’étais quasiment la seule game master, mais petit à petit l’équipe s’est étoffée, alors, j’ai intégré du management à mon travail. Il y a aussi tout l’aspect commercial : développer une offre pour les entreprises. On a vite visé l’escape game premium en créant un lieu classe, cosy, chaleureux avec des prestations et des services haut de gamme. Je fais toujours la comparaison avec la restauration. Il y a toute une gamme entre le fast food et le 4 étoiles, les deux sont tout aussi intéressants, car ils répondent à des attentes différentes.

 

PHOTO D'ENSEMBLE LOCAUX EPSILON ESCAPE GAME PARIS

 

J’ai du coup appris à discuter avec des entreprises pour comprendre et préciser leurs souhaits, parfois flous, et fixer des prix. Comme on ne pouvait faire jouer que 12 personnes simultanément, on a mis en place des partenariats avec des enseignes d’escape games du quartier, ce qu’on appelle des coordinations. Au maximum, on a pu faire jouer sur les mêmes créneaux horaires jusqu’à 160 personnes dans différents escape games. De mettre ça en place a été l’une de mes grandes fiertés chez Epsilon.

Je devais aussi gérer les équipes et les plannings et ça, c’est un vrai casse-tête ! Je ne pouvais pas recruter trop de gens en temps plein en CDI, car en période creuse, ils allaient se retrouver en chômage technique. Et je voulais respecter les employés en leur faisant des vrais fiches de paie et ne pas les embaucher en auto-entrepreneur, c’est illégal. J’ai beaucoup réfléchi, recherché et j’ai appris que de vrais contrats existent pour ce genre de cas. Les escape games sont rattachés à la convention collective du secteur des loisirs qui permet d’utiliser des contrats d’extra, un peu comme dans la restauration. Cela permet de faire face à des pics saisonniers d’activités. On avait donc une base de salariés à temps plein qui était là pour faire tourner sur les créneaux ouverts à l’année plus des extra pour les périodes plus denses.

J’ai pu aussi commencer à développer une partie game design. Comme j’avais été journaliste, Mango m’a contacté, via Remy Prieur, pour écrire des livres d’escape games. Avec Guillaume et Florent, on a accepté avec plaisir et écrit les deux premiers pockets de la collection des livres escape game jeux.

 

livre escape game jeux edités chez Mango

 

On avait aussi beaucoup de demandes d’entreprise qui cherchaient des jeux sur mesure, des expériences un peu différentes de l’escape game, mais autour du jeu. On appelle cela des expériences ludiques. On a développé cette branche.

On a designé un escape game sur un parfum, une salle créée de toute pièce pour une durée de jeu de 20 minutes pour le lancement de ce parfum. J’ai adoré cette mission. On a aussi travaillé en mission de consulting pour des institutions comme Pôle Emploi. Ils avaient besoin de jeux pédagogiques en interne pour sensibiliser à la culture de la boîte et pour transmettre des valeurs.

 

image du film glass de disney

 

Le dernier événement sur lequel j’ai travaillé chez Epsilon et qui est ma plus grande fierté à ce jour, c’est l’escape game Glass pour la sortie du film en janvier 2019. C’était une grosse opération. Disney souhaitait un escape game événementiel pour faire jouer des influenceurs de toute l’Europe sur 3 jours. Ça devait être très visuel, car les sessions devaient être filmées et donner une expérience forte aux participants.

On a repris notre décor du Patient de la Chambre 8 et on a tout changé. On a écrit un scénario de 30 à 45 minutes, en réutilisant des éléments, démontant d’autres, modifiant l’ordre des salles. Le cahier des charges de Disney était dense et il fallait être très à l’écoute de leur besoin : nous devions ne pas faire de référence directe au film précédent, mais insérer des clins d’œil indirects.

C’était une expérience immersive très vivante avec des comédiens parfaitement bilingues et sensibilisés à la notion d’escape game. Ce qui n’est pas un profil évident à trouver. On a eu entre 4 et 6 sessions par jour. Ça s’est terminé avec les équipes françaises, notamment McFly et Carlito qui ont eu l’exclusivité pour les youtubeurs Français :

 

 

Fin janvier 2019, j’ai ensuite quitté Epsilon, car j’avais envie à ce moment-là de me consacrer au game design et me mettre à mon compte.

J’ai été au salon Eduludic à Rouen, spécialisé dans les escape games pédagogiques, secteur que je ne connaissais que de loin. D’ailleurs, dans le milieu des escape games, il y a d’un côté les entreprises commerciales et de l’autre les créations pédagogiques pour les établissements scolaires et les lieux culturels, mais ces deux mondes ne communiquent pas du tout entre eux. C’est dommage, car ils auraient chacun beaucoup à s’apporter.

Comme j’ai une formation universitaire et journalistique, je trouve très intéressant d’apprendre des choses aux gens tout en les faisant jouer et en leur racontant des histoires. Je me suis donc dit que j’allais utiliser toutes les connaissances que j’ai acquises dans le milieu des escape games commerciaux pour les proposer dans le milieu de l’escape game pédagogique. Mais je veux aussi continuer à bosser dans l’univers des escape games commerciaux, car ce sont des enjeux différents et tu peux te permettre de faire plus de choses, car il y a plus de budgets.

 

Sur quels projets travailles-tu aujourd’hui ?

Mon travail consiste à utiliser le jeu comme support, comme outil pour raconter des histoires et transmettre des choses (savoirs, connaissances, valeurs), mettre en valeur un produit, un lieu, un patrimoine. Le jeu est un moyen d’expression pour raconter.

Je suis sur un projet avec une entreprise spécialisée dans les audioguides qui veut passer un cap. Elle a fait appel à moi, pour un très gros projet avec un très gros acteur du patrimoine et de la culture en France. J’ai aussi été contacté par Labsterium. Je suis sur deux scénarios pour des salles qui ouvriront en région. Je suis très contente de travailler avec eux, car ils font du bon boulot, avec une super expertise, des moyens et un atelier génial.

 

Pour conclure, peux-tu nous présenter ta théorie très intéressante sur l’évolution des escape games ?

Oui ! L’immersion est devenue la clé de l’escape game et du jeu en générale. Aujourd’hui, on fait encore la distinction entre escape game, jeu vidéo, jeu de rôle, mais je pense que d’ici 10 à 15 ans, la distinction aura probablement disparu, car ces secteurs sont en train de converger. Dans les escape games, on rencontre de plus en plus de réalité virtuelle, de réalité augmentée et de jeux vidéo. Il y a des expériences immersives comme The Live Thriller, ou le jeu de piste de la Lock Academy. Ce sont des jeux qui ne rentrent plus dans des cases. Et en fin de compte, leurs points communs sont le jeu et l’immersion : on tend vers des jeux immersifs.

Une chose dont je n’ai pas parlé, ce sont les Game Jam organisés par le C.R.I. (Centre de Recherche Interdisciplinaire). Le principe est simple : des gens passent un week-end complet à créer un jeu sur une thématique. Certains travaillent sur les énigmes, d’autres sur l’histoire qui va les lier. Le groupe va ensuite construire l’escape game avec les moyens du bord. J’ai vu de vrais escape games construits sur des histoires se monter avec un budget de moins de 15 €. On peut ainsi créer des idées originales sans avoir fait de hautes études en game design.

J’aimerais aussi continuer à explorer cette branche et donner une partie de mon temps pour continuer à démocratiser le jeu et la création du jeu.

 

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